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Autistes et habiletés sociales : le grand malentendu de l'inclusion (1/2)

  • Photo du rédacteur: Béatrice D.
    Béatrice D.
  • 2 juil.
  • 6 min de lecture
Les ateliers d'habiletés sociales vus par une personne autiste
Les ateliers d'habiletés sociales vus par une personne autiste

Les ateliers d'habiletés sociales, vous connaissez ?!

C'est ce dont on va parler dans la première partie de cet article, qui se présentera en deux volets.

Présentés comme une solution rassurante pour les autistes et les parents d'enfants autistes, ils promettent des outils essentiels pour leur permettre :

  • de s'intégrer,

  • d'être compris,

  • de gagner en autonomie,

  • d'être acceptés par la société.

Le rêve pour tout autiste et tout parent d’enfant autiste (qui veut forcément le meilleur pour son enfant). Qui n’a jamais rêvé de cela ? Même au-delà de l’autisme ?! Concrètement, ces ateliers promettent aux autistes et aux parents d’enfants autistes d’apprendre, à :

  • développer la compréhension et l'utilisation des codes sociaux,

  • améliorer la gestion des interactions (initier, maintenir et terminer une conversation, gérer les conflits, exprimer besoins et désaccords),

  • renforcer l'autonomie et la confiance en soi en situations sociales,

  • généraliser les compétences acquises à différents environnements de vie (maison, école, travail, loisirs)

  • réduire l'isolement social et l'anxiété liée aux interactions, tout en prévenant les comportements inadaptés ou les incompréhensions sociales.


La métamorphose de Narcisse - Dalí
La métamorphose de Narcisse - Dalí

L'idée sous-jacente est claire : les personnes autistes doivent apprendre à mimer les comportements de la norme dominante (à donner l'illusion de ne pas être autistes, pour le dire autrement) si toutefois elles veulent être comprises, acceptées et donc plus autonomes.

Brrr. Si l’intention paraît belle et inclusive au départ, elle porte tout de même en elle un non-dit glaçant puisqu’elle suppose que pour être acceptés, les autistes doivent tout d’abord se conformer aux attendus normatifs : en faisant fi de leurs perceptions, de leurs propres besoins en terme de socialisation ou de communication.

Ce qui est en contradiction totale avec ce que dit la littérature scientifique à propos du masking et des conséquences psychologiques colossales que ce camouflage social entraîne chez elles.

Une étude qualitative de Hull et al. (2017) montre que le camouflage social chez les personnes autistes peut être physiquement et mentalement fatiguant. Les participants rapportent qu’ils sont anxieux et stressés après avoir pratiqué le camouflage et ils se sentent dépossédés de leur identité. Source : Comprendrelautisme.com
Une étude qualitative de Hull et al. (2017) montre que le camouflage social chez les personnes autistes peut être physiquement et mentalement fatiguant. Les participants rapportent qu’ils sont anxieux et stressés après avoir pratiqué le camouflage et ils se sentent dépossédés de leur identité. Source : Comprendrelautisme.com

Les ateliers d’habiletés sociales apparaissent dès lors comme une négation masquée de leur altérité et moins comme une aide :

« Cachez cet autisme / cette diversité que je ne saurais voir ! »

Et cette exigence de normalité n'est d’ailleurs pas sans soulever des questions fondamentales et cruciales sur la véritable signification de l'autonomie et de l'inclusion que promettent ces ateliers.

Comme les amoureux(ses) de l'étymologie le savent, le terme "autonomie" vient du grec autos (soi-même) et nomos (loi, règle). Ce qui signifie littéralement "qui se donne sa propre loi". Etre autonome, c’est donc se gouverner soi-même, décider et agir en fonction de ses propres repères plutôt que sous l’injonction d’autrui.

Or, les ateliers d'habiletés sociales proposent justement l’inverse puisqu’ils invitent les personnes autistes à gommer leur singularité pour coller aux attendus normatifs. Ce qui revient à se nier soi-même, finalement.

Ce glissement insidieux nous amène à un autre enjeu majeur : la confusion entre inclusion et intégration.


Quand l'inclusion promise se transforme en intégration imposée

  • L'intégration part du principe que c'est à l'individu de s'adapter au groupe, de se rapprocher de la norme pour être toléré.

L'homme de Vitruve
L'homme de Vitruve - De Vinci

  • L'inclusion, quant à elle, propose une approche radicalement différente, bien plus respectueuse. Elle part d'un principe simple et puissant que chaque personne est pleinement légitime dès le départ. Avec ses différences, ses besoins, ses atouts, ses limites, son potentiel. Une manière de regarder l’autre en disant :

"Tu es légitime tel que tu es. Tu n’as pas à prouver ta normalité, elle est déjà là, dans ta façon d’être au monde ».



Et alors, c’est à la société de bouger, de s'investir, de s’ouvrir, de s’ajuster pour laisser toute cette diversité s’exprimer librement. Parce qu’accueillir, ce n’est pas corriger. C’est reconnaître et faire de la place. Sans conditions.

En cherchant à "corriger" les personnes autistes pour les rendre plus acceptables aux yeux des autres, il me semble par conséquent que les ateliers d’habiletés sociales perpétuent inconsciemment une logique d’intégration déguisée → on transfère la responsabilité du décalage sur l’individu comme pour s'exempter soi-même du moindre effort d'adaptation envers la diversité.

Les normes sociales : une exigence unilatérale

Et si l’on demandait à la norme dominante de justifier de sa propre maîtrise des codes sociaux, de sa propre capacité à savoir communiquer, de ses propres capacités d'empathie, de sa propre adaptabilité envers les autres ? Que découvririons-nous ?

Explorons les objectifs des ateliers en les confrontant à la réalité, pour tenter de répondre à ces questions :

📌 Compréhension et usage des codes sociaux : une difficulté universelle

Les ateliers enseignent l’art de décoder les signaux sociaux, comprendre les intentions, distinguer ses émotions de celles des autres… Pourtant, dans la vie quotidienne, malentendus, commentaires déplacés ou distances non respectées sont omniprésents, ce qui signifie que même les personnes normées peinent à appliquer ces codes !

Lire les intentions d’autrui, réprimer ses émotions n’est ni inné ni garanti et cela vaut pour chacun(e) d’entre nous !

🗣 Interagir avec fluidité : une compétence idéalisée, rarement maîtrisée

Savoir gérer les conflits, exprimer ses besoins sans froisser, clore une conversation avec tact… Des compétences valorisées dans les ateliers. Mais dans la réalité ? Les échanges bancals, les tensions non résolues et autres maladresses sont courants chez la majorité. Et pourtant, personne ne propose aux personnes dans les normes de suivre ces ateliers ?!


🚶‍♀️ Autonomie et confiance en soi : un parcours semé d’embûches

Timidité, anxiété sociale, peur du jugement... Ces traits concernent un grand nombre de personnes non autistes, qui évitent les contextes sociaux ou les prises de parole en public. Pourtant, on les accepte sans remettre en question leur "fonctionnement".

Alors pourquoi imposer aux personnes autistes de se réajuster, quand les mêmes réactions sont tolérées par ailleurs ?


🔄 Généralisation des compétences acquises : une évidence pour tou(te)s ?

Transférer ses acquis d’un contexte à l’autre est loin d’être automatique. Prenons l'exemple de Claire qui brille en réunion, mais qui vacille dans les conflits familiaux. Malik qui triomphe sur scène mais qui reste silencieux à l’heure de se présenter auprès de ses collègues. On parle ici d’un phénomène universel. Et pourtant, c’est aux personnes autistes qu’on exige de réussir cette transposition.

🌍 Réduction de l’isolement social et de l’anxiété : la responsabilité de qui ?

Les ateliers visent à réduire l’isolement et l’anxiété liés aux interactions, en évitant les incompréhensions et les comportements jugés inadaptés. Cet objectif met l'accent sur la personne autiste comme unique responsable de son intégration. Pourtant, l'isolement social est souvent le fruit d'un manque de compréhension et d'acceptation de la part de l'environnement : plutôt que de voir l’isolement et l’anxiété comme des symptômes internes, ne vaudrait-il pas mieux interroger le manque d’adaptation de l’environnement et le manque de place qu’il laisse à la différence, générant ainsi l'anxiété et l'isolement qu'on dit vouloir combattre ?


Le paradoxe ultime : l’injonction au masking

On l'a vu ci-dessus, au cours de ces ateliers, on demande aux personnes autistes d’incarner une sorte d’idéal humain (toujours clair, sociable, empathique, dans la nuance, adapté…) alors même que parmi ceux qui formulent ces attentes, très peu les atteignent en réalité. Et en prime, on leur suggère que tout ce renoncement de soi, c'est pour être aidés, mais la réalité c'est que cette quête de normalité qu'on leur impose sous couvert d'assistance devient alors un marathon quotidien, une performance sans fin. On ne vit plus. On joue un rôle. Et le coût de cette représentation est colossal.

S’adapter devient alors une injonction à taire sa spontanéité, sa vérité. C’est ce qu’on appelle le masking : une stratégie de survie, apprise très tôt par la plupart des personnes autistes. Non parce qu'elles trouvent le modèle majoritaire superbement exemplaire pour elles, mais pour survivre au regard des autres et à leurs limites face aux différences. Et aujourd'hui, on sait combien ces effets sont dévastateurs : épuisement cognitif, perte de soi, de l'estime de soi, pression sociale intériorisée dès l’enfance. Et le pendant de tout ça, c'est que plus on masque, plus on fait semblant de ressembler aux personnes dans les normes, moins on est vus et donc compris et... aidés. La boucle est bouclée.

Dans la première partie de cet article, j'ai essayé de mettre en lumière comment, sous couvert d'aide à l'inclusion, les ateliers d'habiletés sociales imposent en réalité un effort d'adaptation unilatéral aux personnes autistes, les poussant à masquer leur authenticité. Mais quelles sont les conséquences concrètes de cette injonction à la normalité sur le le bien-être des personnes autistes, au quotidien ? C'est ce que nous explorerons en détail dans la deuxième partie, en nous immergeant dans le vécu concret de ces injonctions, là où elles laissent des marques profondes... Béatrice Duka

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