L’Homme dans les normes : un modèle bancal pour penser l’autisme (1/2)
- Béatrice D.
- 22 sept.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 oct.

Qu'il s’agisse des discours médicaux, éducatifs, médiatiques ou sociaux, l'autisme est souvent perçu depuis un angle unique : celui de l'Homme dans les normes, qu'on présente toujours comme un mètre-étalon à partir duquel on se permet de définir, de juger, d'évaluer, de corriger ou de rééduquer les personnes autistes (et de manière générale, toutes celles qui ne sont pas assez comme lui).
Mais peut-on réellement considérer que l’homme dans les normes est à ce point
exemplaire qu’on veuille imposer son modèle à tous ?
C’est ce que qu’on va essayer de décrypter à travers cet article
L'Homme dans les normes, un modèle pour tous ?
Personnellement, je trouve cette posture parfaitement illégitime (un seul fonctionnement humain ne peut en aucun cas servir de référence pour tous car ce serait nier que la diversité existe), en plus d'être profondément biaisée : elle nie la valeur des autres manière d'être, en réduisant leur fonctionnement à des déficits et en s’arrogeant le droit de dire ce qui va ou ne va pas chez les autres, sans jamais remettre en question son propre fonctionnement. Or, il suffit d'observer avec lucidité le monde qui nous entoure (façonné par la majorité) pour comprendre à quel point ce modèle n'est en rien exemplaire pour personne.
C’est pourtant bien celui qu'on érige en modèle absolu pour apprendre aux personnes autistes à communiquer, sociabiliser, gérer leurs émotions, s'adapter… Comme si on était partis du principe que les personnes dans les normes savaient communiquer, développer des relations sincères, gérer leurs émotions, s'adapter aux autres êtres humains, animaux ou végétaux qui les entourent...

L'Homme dans les normes vu par une personne autiste :
Sur le plan intellectuel
A l'inverse des personnes autistes qui, selon certaines études, semblent plus résistantes aux biais, l'Homme dans les normes est sujet à de nombreux biais comme :
Le conformisme : il modifie son comportement ou ses opinions pour se conformer aux opinions des autres, même si cela contredit ses croyances ou ses préférences personnelles,
Les biais de confirmation qui, de manière inconsciente, lui feront privilégier les informations qui confirment ses croyances, ses préjugés et ses idées reçues, en ignorant ou en minimisant celles qui les contredisent.
C'est sans doute pour ces raisons qu'il préfère les schémas mentaux rapides et heuristiques ("l'art d'inventer, de faire des découvertes en résolvant des problèmes à partir de connaissances incomplètes") plutôt que d'explorer toutes les facettes d’un problème de manière holiste ou encore systémique, à l'image des personnes autistes qui développent souvent une pensée associative et divergente qui leur permet de faire des parallèles inattendus entre des sujets d’apparence éloignés ou de relier entre elles des dimensions que la pensée normative tends à compartimenter.

Pourtant, c’est le modèle de l'Homme dans les normes qu'on érige comme exemple à suivre pour les personnes autistes.
Sur le plan de la communication
L'Homme dans les normes use d'implicites, de sous-entendus, de non-dits, de double-sens, d'ironie, d'une absence évidente de rigueur communicationnelle, d'hypocrisie (sous couvert de politesse et de bienveillance)… Autant de mécanismes qui rendent la communication et les relations sociales confuses et peu claires entre les gens.
Là où les personnes autistes privilégient une parole littérale, directe, sincère… ce qui leur vaut parfois des "tu es maladroit", "tu n’es pas diplomate" ou encore "tu n'es pas bienveillant" (un peu comme si l'Homme dans les normes considérait l'honnêteté comme quelque chose de malveillant et préférait qu'on travestisse sa pensée véritable sous une épaisse couche de convenances sociales, quitte à brouiller le message principal qu'on voulait initialement délivrer).
Et quand on y pense… Cette inversion des faits est frappante : on accuse de maladresse ceux qui cherchent à s'exprimer avec clarté et sincérité, tandis qu'on érige en modèle une communication fondée sur l’opacité et la dissimulation.
Alors, qui communique vraiment le plus clairement ?
Celui qui choisit la sincérité, ou celui qui se cache derrière des codes appris pour
éviter d’exprimer ce qu’il pense réellement ?
Eh bien si on en juge la majorité des descriptions disponibles sur le net et partout ailleurs, ce sont les personnes autistes qui ne savent pas communiquer, de l'avis même de l'Homme dans les normes.
Outre le fait que la communication, par définition, ne peut en aucun cas être unilatérale, si en plus on s’en tient au sens étymologique du terme (communiquer veut dire mettre en commun, partager), la responsabilité de "savoir communiquer" ne peut en aucun cas incomber aux seuls autistes. Autrement dit, il est erroné d'affirmer que "les personnes autistes ne savent pas communiquer" (même un autiste non verbal est en mesure de communiquer, si tant est qu'on sache s'adapter à son mode de communication : ce sont donc plutôt deux mondes qui échouent à se rencontrer sur le terrain de la communication) : il incombe à chacun de fournir des efforts d'adaptation, si toutefois l’objectif est de… communiquer vraiment.

Pourtant, aujourd'hui, c’est seulement aux personnes autistes qu'il échoit de s'adapter au modèle communicationnel si imparfait et si peu respectueux des principes fondamentaux de la communication.
Sur le plan comportemental
L'Homme dans les normes agit le plus souvent en contradiction totale avec les valeurs qu'il exprime : il se dit soucieux de l'environnement tout en surconsommant pour assouvir des besoins superficiels.
Il dit s'opposer et lutter contre la discrimination (comme l'école de la république qui, dit lutter et combattre toutes les formes discrimination en plus d'afficher la volonté de transmission de ces valeurs aux élèves) tout en ségréguant les personnes autistes dans des structures spécialisées (ULIS, IME, ITEP, ESAT...). Si on leur demande pourquoi ? Elles diront qu'elles manquent de moyens (alors qu'inclure coûte beaucoup moins cher qu’exclure) ou encore que c'est pour le bien des personnes autistes (moi, je pense que c’est surtout pour leur bien à elles : ça leur permet de rester dans leur zone de confort, sans fournir le moindre effort d'adaptation).
Et ces contradictions se retrouvent partout dans la vie quotidienne
À l’école
Les programmes imposent un environnement et un apprentissage uniformes en excluant ceux qui pensent ou ressentent autrement. La différence est punie et jugée (élève perturbateur, dans la lune, ne participe pas assez en classe…), on fait fi des besoins différents alors que si on repensait l'environnement et la pédagogie comme si on la destinait aux élèves neurodivergents (TDA, DYS, TDAH…), ça pourrait potentiellement être bénéfique pour l’ensemble des élèves.
Dans les médias
Les stéréotypes dominent -> quand quelqu'un ne comprend pas quelque chose, il n'est pas rare de voir les personnes s'exclamer : "Mais vous êtes autiste ou quoi ?".
Dans l’emploi
Les méthodes et environnements restent inadaptés pour 15 à 20 % de profils neurodivergents, malgré les promesses communicationnelles brandies pour enjoliver la marque employeur,
Dans les services publics
Les démarches restent complexes et les agents très peu formés à la neurodiversité, alors qu'ils se confrontent chaque jour à un public d’une immense diversité.
Et comme si ça n’y suffisait pas, ces mêmes mécanismes impactent toute personne handicapée, racisée, LGBTQIA+ …
à partir du moment où elle diffère de l'Homme dans les normes
Ce qui a tendance à engendrer souffrance, mal-être, absence d'estime de soi, anxiété et sentiment d'injustice chez les personnes hors-normes.
Ce que l’Homme dans les Normes traduit d’ailleurs très souvent de manière réductrice par « souffrir d’autisme » ou encore « atteint d’autisme », suggérant ainsi que la diversité est une déviance et la différence, une pathologie... Sans jamais se rendre compte que ce n'est pas vraiment la différence qui est à proprement parler source de souffrance, mais bien la manière dont l'Homme dans les normes exclut les personnes pas assez comme lui.
Sur le plan émotionnel et relationnel
L'Homme dans les normes semble valoriser l'empathie, mais de manière sélective, il ne peut s’empêcher de réserver son attention, sa « bienveillance » et sa compréhension uniquement à ceux qui lui ressemblent ou tout du moins qui fournissent l’effort d'essayer de lui ressembler, indépendamment de ce que ça pourrait générer chez eux.
Et le paradoxe dans tout ça, c'est que c’est lui qui affirme parfois que ce sont les personnes autistes qui sont dénuées d’empathie (au prétexte que ces dernières ne témoignent pas leur empathie de manière aussi ostentatoire que lui).
Moi, je pense qu'il faut être sacrément dénué d’empathie soi-même pour imaginer que tout le monde témoigne son empathie de la même façon, non ?
Sur le plan écologique
Son empathie n’est pas super flagrante non plus : il ne respecte en rien l’écosystème dans lequel il vit, n'hésitant pas même à qualifier certaines espèces animales ou végétales de nuisibles (quand celles-ci nuisent à son confort superficiel), alors qu’il ne peut y avoir plus nuisible que celui qui se soucie si peu de toutes les espèces et variétés d’espèces qui vivent en même temps que lui sur cette planète.

Destruction de l'environnement Fort de tout ce constat, peut-on encore continuer à juger les personnes autistes à travers un prisme aussi bancal, alors même qu'il révèle ses propres contradictions sur les plans intellectuel, communicationnel, comportemental, émotionnel, relationnel et écologique ?
Qu’est-ce qui pourrait justifier qu’on érige encore ce modèle comme une
référence absolue pour tous ?
Et si, au lieu de demander aux personnes autistes de s'adapter à un modèle si bancal, l'Homme dans les normes apprenait enfin à s'ouvrir véritablement à la diversité ? Que se passerait-il ?
Intellectuellement ?
Communicationnellement ?
Sociétalement ?
Écologiquement ?
Je vous laisse tenter de répondre à cette question.
Et question subsidiaire : selon vous, qu'est-ce qu'un Homme dans les normes ?
C’est la réponse à laquelle j'essaierai de répondre dans le 2ème volet de cet article.
Béatrice Duka



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