top of page

L'Homme dans les normes : un modèle bancal pour penser l'autisme

  • Photo du rédacteur: Béatrice D.
    Béatrice D.
  • 18 oct.
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 20 oct.

L'homme dans les normes : un modèle bancal pour penser l'autisme 2/2
L'homme dans les normes : un modèle bancal pour penser l'autisme 2/2

Qui est l’Homme dans les normes ?

C'est la question à laquelle j'avais promis de répondre dans mon précédent article.


Et la réponse tient en quatre mots : il n'existe pas.

Oui, car nul ne naît dans les normes ou avec le gène des normes dans ses cellules. Implantées uniquement dans nos têtes, les normes ne sont en réalité que de simples constructions sociales : des règles inventées, imposées et transmises de génération en génération, selon les pays, les cultures, les croyances, les peurs, les époques. Rien de plus.


Elles rassurent certaines personnes, certes, car les humains adorent dresser des barrières quand ils ont peur du vide. Mais elles n’ont pas plus de consistance qu’un reflet sur l’eau : il suffit d’un geste pour qu’elles disparaissent ou évoluent vers autre chose.


Mais alors... L’Homme dans les normes qui exclut, juge, discrimine, corrige et s’acharne à normaliser ceux qui ne

rentrent pas dans ses sacro-saintes normes illusoires, qui est-il vraiment ?


Eh bien… Un imposteur malgré lui. Il faut dire qu’il a tellement bien appris à obéir au modèle unique qu'on lui a imposé depuis sa plus tendre enfance qu'il a fini par confondre le rôle qu'il joue, avec sa véritable capacité à être.


Anatomie d'une fiction

Son conditionnement a démarré à un âge où il était particulièrement malléable. En même temps, qui oserait s'opposer à un adulte, faisant figure d'autorité, lorsque celui-ci vous intime de réprimer vos instincts, taire vos ressentis, ne pas exprimer vos pensées les plus sincères, escamoter tout ce qui dépasse et surtout, surtout… ne jamais montrer aux autres qui vous êtes vraiment ?!


C'est là le cœur dissonant de notre modèle éducatif.



On ne forme pas des êtres, on façonne des apparences.


Et pourquoi ce modèle insensé perdure, vous demanderez-vous ?

Parce que l'adulte qui éduque a lui-même été conditionné ainsi. Il n'envisage pas un seul instant qu'il puisse exister une autre manière d'être. Tel un programme informatique codé pour réagir d’une façon plutôt que d’une autre, il obéit à son « créateur », sans jamais prendre l’initiative d’optimiser son système par lui-même.


Gregory Bateson nommait cette éducation paradoxale la "double contrainte" : des injonctions contradictoires qui façonnent un individu prisonnier du personnage qu'on lui a assigné. Le plus troublant ? Il ne s'en rend même pas compte.



C’est d'ailleurs pourquoi les parents se transmettent cette éducation dissonante de génération en génération, apprenant à leur enfant à se taire avant même que celui-ci n’ait appris à prononcer le moindre mot. A rentrer dans le cadre, avant même qu’il n’ait jamais tracé la moindre ligne. A obtempérer au fameux « fais ce que je dit, pas ce que je fais ». Pour son bien, lui affirmera t-on, avec pour seule carotte l’idée d’être accepté par les humains qui se seront soumis à ces mêmes injonctions avant lui.




Notre système éducatif
Notre système éducatif

Le système éducatif prendra ensuite le relais en plaçant les enfants dans cette même situation.

  • "Apprends à penser par toi-même !"

    Mais on pénalisera toute pensée non conforme aux attendus normatifs : mauvaise note à l’appui pour le dissuader de s’octroyer cette liberté.

  • "Sois créatif et critique !"

    Mais on exigera de lui qu'il répète uniquement ce qu'on lui a dit et de la manière exacte dont on lui a transmis, mauvaise appréciation à l’appui.

  • "Fais ce que tu veux !"

    Mais seulement dans les limites qu'on a définies pour lui, punition à l’appui.



Comme le rappelait Bateson :


"Plus un apprentissage a été difficile, malaisé, douloureux ou même humiliant,

moins l'individu est prêt à remettre en cause la valeur de ce qui lui a été enseigné, sinon cela signifierait qu'il a investi et souffert pour rien."



Et c'est précisément ce mécanisme qui, selon lui, crée des sociétés autoritaires : la double contrainte produit en effet des individus incapables de questionner, de résister, de penser par eux-mêmes. Des individus parfaits pour maintenir les structures du pouvoir en place, en somme.


Et ils sont nombreux à s’être laissés piéger. Très très nombreux. La fameuse courbe de Gauss nous le montre : ils sont des millions à rester coincés au centre de celle-ci. Des millions à avoir sacrifié qui ils sont vraiment, au profit de qui on voulait qu’ils soient.


Des millions à avoir payé le prix fort du reniement de soi pour correspondre à une moyenne statistique qu'on a transformée en idéal humain à atteindre.



Car c'est bien là le tour de force : avoir fait d'un simple calcul mathématique, une norme sociale et de ceux qui s'en écartent (autistes, DYS, TDAH et autres personnes hors-normes), des anomalies à corriger.



L’Homme dans les normes n'est pas très adaptable vis-à-vis de la diversité. Il faut dire qu’il ne connaît qu’un seul modèle d’être. Et dans sa représentation à lui, toute déviation de celui-ci le met automatiquement en danger. Alors, sans réfléchir, ni même s’interroger sur ce qui le motive à agir ainsi, il impose aux autres de se conformer, parce que lui-même ne sait pas faire autrement. Et comme ils sont des millions à reproduire ce schéma et que la majorité l’emporte...




Les dégâts en cascade de cette imposture : de l’individu au systémique




L’individu dans les normes, face à lui-même


Vivre dissimulé derrière une apparente conformité, c'est mener une double vie : celle qu'on joue devant les autres et celle qu'on étouffe et qu'on contient à l'intérieur. Surveiller constamment ce qu'on dit, ce qu'on montre, ce qu'on ressent. Censurer ses élans, sa singularité, son potentiel différent.


Taire ses vulnérabilités. Réprimer ses besoins, ses instincts. Tordre sa nature pour rentrer dans le costume taille unique de la grande comédie de la normalité.


On croit protéger son ego en se conformant, mais on construit, en réalité, sa propre prison dorée : engoncé dans un personnage qui dépend entièrement du regard et de l’appréciation des autres. Et qu'on essaye de défendre coûte que coûte pour ne pas prendre le risque d’être démasqué. De manière réactive parfois, comme on peut le constater chaque jour sur les réseaux que l’on dit sociaux. Car on ne veut surtout pas être rejeté pour qui on est vraiment, préférant être accepté pour ce que l’on n’est pas du tout.

Et puis… reconnaître qu'on a sacrifié sa vie, son identité et son potentiel pour un rôle assigné dès la naissance, serait humainement insupportable.


Sauf que... le corps finit toujours par dénoncer la supercherie. Il prend sur lui, il tient, il se renie, en essayant de compenser encore plus, tant qu’il le peut. Jusqu’à ce que les coutures de son costume étriqué finissent par lâcher totalement. A ce moment-là, la fatigue engendrée par le déni de soi et par ce rôle permanent, le submerge totalement : mal-être, insomnies, douleurs, anxiété généralisée, dépression, troubles psychosomatiques, maladies auto-immunes… sont là pour lui rappeler que de se conformer à un modèle si imparfait n’est pas sans conséquences pour lui.




L’individu dans les normes face aux autres


Quand on a appris dès l'enfance qu'être soi, c'était prendre le risque de ne pas être accepté, les relations deviennent alors un théâtre permanent. Chacun joue son rôle, essayant de deviner ce que l'autre attend et ajustant son masque en temps réel. Qu'est-ce qui plaira ? Qu'est-ce qui déplaira ? Que dois-je cacher pour ne pas être rejeté ? Et puis l'autre fait exactement la même chose.


Et comme si ça n’y suffisait pas, il doit désormais apprendre à se soumettre aussi, à ce que les algorithmes attendent de lui sur les réseaux, si toutefois il souhaite avoir l’illusion d’exister au milieu de millions de personnes qui suivent exactement cette même logique.


Épuisé de devoir jouer un rôle 24h/24 dans l’intimité de cette relation de surface et sur les réseaux sociaux, l'ego qu'on a bâti se fragilise au point de ne plus supporter aucune fissure. La communication devient alors parfois réactive : chacun protégeant son territoire et défendant son image construite. Une simple remarque devient une attaque. Un désaccord, une menace.


On a appris à plaire mais on a oublié comment se rencontrer vraiment.




L’individu dans les normes face à ses collègues


Le monde professionnel récompense le conformisme et ce, dès la rédaction de la fiche de poste ou encore des conseils que l’on distribuera pour mieux présenter on CV en fonction des attendus normatifs.


  • On veut des profils autonomes mais qui suivent la procédure au millimètre près.

  • Des leaders d’opinions mais à condition qu’elles ne dérangent personne.

  • Des réunions créatives mais avec un ordre du jour en douze points, pas un de plus.

  • De l’innovation et de la créativité mais en respectant un cahier des charges très strict.

  • De la transition, du paradigme mais sans bousculer la continuité de l’existant.

  • Du sens, mais sans accepter les questions qui en fabriquent.

  • De la différence mais seulement si elle sait rester identique.



Après tout, il reste les réseaux sociaux et les mots stratégiquement choisis, que l’on teintera tantôt :


  • en vert, pour convaincre de notre responsabilité et de notre engagement face au réchauffement,

  • couleurs arc-en-ciel pour convaincre de notre ouverture face à la richesse de la neurodiversité.


Le paradoxe ? Cette conformité qu'on exige détruit justement ce qui rendrait l'entreprise plus performante : l’authenticité, le potentiel différent, la diversité des pensées, la créativité, les capacités d’innovation.




L’individu dans les normes face à la biodiversité


L'Homme dans les normes se dit préoccupé par l'environnement tout en contribuant et en accélérant sa destruction. Il pollue l'air qu'il respire, l'eau qu'il boit, la terre et l’océan qui le nourrissent et plus globalement, la biodiversité indispensable à sa propre survie.


« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

Au fond de lui, il sait.

Mais reconnaître l'ampleur du désastre impliquerait de remettre totalement en question son conditionnement, son mode de vie, ses habitudes, son confort, ses schémas de fonctionnement.


C’est pourquoi il préfère bien souvent le déni, l’inaction ou les tout petits gestes et les demi-mesures qui sauront donner l’illusion qu’il agit. Il alignera ainsi des chiffres, déroulera des plans d’action, mettra des mots en colonnes (paradigme, transition, compensation, trajectoires), comme si le vocabulaire seul pouvait rafistoler et préserver ce qu’il y a de plus précieux au monde : le vivant.


Tout ce qui soulagera sa conscience sans rien changer sera pour lui bon à prendre. Pas par perversité, non mais par habitude et fidélité à son conditionnement.

On lui a appris à suivre, pas à penser.

À obéir, pas à questionner.

À se conformer, pas à innover.



Le coût réel de la "normalité"


Voilà donc le bilan : des individus fictions, des relations aux autres totalement factices, un monde du travail toxique, une planète dévastée.


Et on en fait de ce modèle imparfait, le modèle de référence pour toutes les personnes hors-normes ?



L'imposture du siècle


Non, vous ne pourrez pas effacer le conditionnement. Mais vous pouvez au moins apprendre à le reconnaître et à voir les normes pour ce qu'elles sont : des constructions sociales qui déclenchent des dégâts considérables en cascade, de l’individu au systémique. Pas des vérités naturelles.


Oser être soi-même n'est pas un acte de rébellion.

C'est cesser de lutter contre sa propre nature.

C'est dire non à cette énergie gaspillée à jouer un rôle.

C’est dire oui à ses besoins, à ses envies, à sa singularité, à son potentiel, à l’authenticité, aux relations vraies, à la vie.


Et en vous octroyant cette liberté, vous découvrirez que non seulement vous y gagnerez en bien-être, mais qu’en plus, vous attirerez à vous les bonnes personnes (sélection naturelle, oblige), celles qui ne vous contraindront pas à jour un rôle. Et vous lui offrirez alors cette permission de faire de même.



Apprendre à désapprendre, ça s’apprend.


Toute votre vie, on vous a seriné que de se conformer aux autres, c’était pour votre bien, dans le seul but d’être accepté en évitant tout problème : rejet, jugement, railleries, exclusion...


Or, on l’a vu tout au long de cet article, renier qui on est vraiment, génère plutôt des conséquences -individuelles, relationnelles, professionnelles, écologiques- bien plus importantes encore.



Sachant cela…


  • Et si on arrêtait de répéter que la diversité est une anomalie à corriger et qu’on prenait conscience que d’essayer de la transformer en ce qu’elle n’est pas, ne changera rien au fait qu’elle existe réellement et que c’est même la seule normalité biologique qui soit ?!


  • Et si on arrêtait enfin de perdre son énergie (et des milliards d’euros) pour « aider » autistes, TDAH, DYS ou toute autre personne hors-normes à se conformer à ce modèle si imparfait qu’est le conformisme ?


  • Et si on utilisait cette même énergie et ces mêmes ressources financières pour enfin mettre en conformité la société, au regard de la diversité d’humains qui la composent ?



Que se passerait-il, de l'individu au systémique, selon vous ?


Béatrice Duka


Commentaires


Logo Le Lab'Atypik

Décuplez le potentiel de votre entreprise en révélant
le potentiel différent de vos collaborateurs neuroatypiques

Le Lab'Atypik accompagne les entreprises (RH, managers, référents handicap, RSE / QVCT, Diversité et inclusion, jobcoachs, dirigeants...), les collectivités et acteurs majeurs de l’emploi vers une meilleure inclusion des profils issus de la neurodiversité (autisme, TSA, TDAH, DYS) au sein de leur organisation.

  • Sensibilisation aux neuroatypies

  • Recruter les profils neuroatypiques

  • Manager les profils neurodivergents

  • Fidéliser les profils TSA, TDAH, DYS...

  • Ateliers immersifs "vis ma vie de neurodivergent

  • Ateliers collaboratifs

  • Rédiger une offre d'emploi inclusive​

  • Audit accessibilité environnement

Contactez-nous

E.I. Le Lab'Atypik SIRET : 812 734 572 00025

bottom of page