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Autistes et habiletés sociales : le grand malentendu de l'inclusion (2/2)

  • Photo du rédacteur: Béatrice D.
    Béatrice D.
  • 4 juil.
  • 6 min de lecture
Photo : Freepik
Photo : Freepik

Dans le premier volet de cet article, j’ai tenté de dévoiler une réalité trop souvent occultée : celle qui se cache derrière la promesse séduisante des ateliers d’habiletés sociales. Sous couvert d’accompagnement bienveillant, se cache bien souvent une injonction silencieuse à la conformité. Comme si la société, en ne proposant qu’un seul et même modèle de fonctionnement face à la diversité foisonnante d’humains aux besoins différents, cherchait à s’épargner tout effort d’adaptation.


Pour comprendre l'impact qu’engendrent ces efforts d’adaptation (aux codes, aux injonctions sociales) chez les personnes autistes, il ne suffit pas d’observer ce qui est visible de loin (du seul point de vue normatif) ou de l'extérieur (la partie visible de l’iceberg). Il faut aussi oser plonger dans les profondeurs abyssales de l'immense travail mental, sensoriel et émotionnel qui se joue derrière le masque social.


A travers cet article je vais essayer de vous transmettre toute l’ampleur des ressentis de certaines personnes autistes face à un "simple" rendez-vous extérieur. Vous verrez : la route est bien longue avant-même (et après) la première poignée de main...Chaque étape est balisée d’anticipations anxieuses, de calculs sensoriels, de stratégies d’adaptation, d’efforts cognitifs intenses. Mais au lieu de tenter de vous convaincre, je vous invite à faire un pas de côté, à suspendre vos certitudes normatives et à écouter… autrement.



Immersion dans les perceptions autistiques,

face à un simple rendez-vous social


Accepter une invitation : le début d’un tourbillon mental

Le moment où une personne autiste accepte une invitation sociale est souvent le début d'un processus complexe. Dire "oui" à une simple invitation peut sembler anodin pour les uns, mais pour une personne autiste, ce simple oui marque le début d’un long enchevêtrement mental. Il y a d’abord ce consentement souvent impulsif, donné par volonté de répondre aux attentes, pour ne pas blesser ou tout simplement pour ne pas avoir à exprimer le non fatidique (celui qui déclenche parfois des émotions vives chez notre interlocuteur/trice ou pire encore des demandes de justification → alors que la plupart ne semble pas apte à entendre notre réponse… sans fards).



Pourtant, aussitôt prononcé, ce "OUI" se transforme en source d’angoisse. Des stratégies mentales se mettent immédiatement en place pour envisager toutes les possibilités d’annulation. Non par désintérêt social, mais parce que l’événement à venir s’annonce comme une épreuve à haut potentiel anxiogène, on le sait, puisqu’on l’a déjà vécu maintes fois. D'un côté, il y a le désir de participer à un moment avec des ami(e)s. De l'autre, une alarme interne se déclenche déjà… "Je vais (encore) me mettre dans le rouge". Et le fameux "Mais pourquoi j’ai dit oui ?!" se met alors à tourner dans la tête. Sans fin.

Les jours précédents le rendez-vous : la montée de l'anxiété

La projection du rendez-vous tourne en boucle. Tout est disséqué, anticipé : le trajet, la météo, les horaires, les interactions potentielles à venir, les bruits imprévus, la lumière, les personnes présentes, leurs voix, leur côté parfois excessif dans la démonstration de leurs émotions, les souvenirs d’expériences passées qui viennent parasiter la préparation psychologique... Cette hyper-mentalisation génère une tension diffuse, un inconfort croissant, une fermeture à son entourage habituel, le cœur s’emballe, la respiration se fait courte, le sommeil est agité... Notre organisme s’apprête à affronter un environnement imprévisible et potentiellement agressif pour les sens. Et il nous alerte. Alors on essaye de tout anticiper mentalement pour laisser le moins de places possibles à l’imprévu, au risque de s’effondrer en cours de route, si toutefois on y est confronté(e).

Pendant l'événement : la lutte en temps réel

Le jour J, la scène sociale se rejoue une énième fois, mais en direct cette fois. Elle a déjà été vécue mentalement plusieurs fois avant d’avoir lieu. Et pourtant, rien ne prépare totalement à l’intensité du moment. Une explosion sensorielle peut survenir à tout instant.


La fatigue accumulée des jours d’anticipation se mêle à l’angoisse du présent. Le brouhaha ambiant, les voix qui se chevauchent, le tumulte dans un espace clos créent une cacophonie difficile à filtrer. Il faut tenter d’ignorer la musique de fond, les lumières trop vives, les odeurs imprévues, les sons imprévisibles, la posture des autres, leur proximité physique, sans oublier en même temps de saluer, de sourire, d'essayer de communiquer et donnant l’illusion d’interagir de manière naturelle, de maintenir un contact visuel durant une durée "adéquate", de ne pas se balancer, se contenir... Pourtant, stimmer (se balancer, frotter ses mains, taper du pied) pourrait aider à libérer une partie du tumulte ressenti.. Mais cela, n’est pas permis dans les normes sociales. Et ne pas pouvoir se réguler en public, pour une personne autiste, c’est ajouter une couche supplémentaire de stress à un empilement déjà vertigineux.


L’effort fourni pour contenir tout son être dans le costume taille unique de la "normalité" mobilise à ce moment-là une énergie mentale et physique considérable que nul ne peut soupçonner. Plus les sens sont agressés, plus chaque stimuli semble s'amplifier : le moindre bruit, la plus infime lumière, le plus subtil contact prend soudainement des allures d’assaut sensoriel. Ce qui ne devait être qu'un simple rendez-vous social se transforme alors en expérience de survie sociale douloureuse et submergeante et chaque minute passée dans ce décor social amplifie la surcharge. Le corps voudrait fuir, l’esprit voudrait s’extraire, mais tout reste contenu, compressé, dissimulé. Totalement invisible pour les autres. Signe qu'en matière d'adaptation, les personnes autistes s'en sortent déjà pas mal...


Après l'événement : on tire les rideaux sociaux, shutdown en cours !

Le débriefing mental : une fois le rendez-vous terminé et la personne autiste rentrée chez elle, démarre un long processus de décortication mentale (zoom arrière, zoom avant…) minute par minute de l’événement et de tous les détails perçus (et même de ceux qu’on ne pensait pas avoir perçus) : le cerveau repasse en boucle chaque interaction, chaque mot échangé, chaque phrase prononcée ou entendue, chaque regard, chaque rictus, chaque moment de malaise. Y a-t-il eu des gaffes ? Ai-je semblé bizarre ? Ai-je dit ce qu'il fallait ? Qu’à t-il voulu dire vraiment… ? Cette rumination incessante peut durer des heures, parfois plusieurs jours, avant que l’équilibre ne revienne. S’ensuit alors… la descente du rideau social.


Le "shutdown" : une réaction courante à la surcharge, comme une implosion générale de l’organisme, un coupe-circuit général. Le cerveau et notre système nerveux ayant dépassé leurs limites naturelles de traitement, se mettent en position "off".


Personnellement j’appelle ça les phases « phoque échoué sur un canapé ». Et concrètement comment ça se traduit ? Eh bien… Échouée sur le canapé. Mais aussi par du mutisme, un fort besoin d’isolement (de tout), une incapacité à traiter tout ce qui vient de l’extérieur (stimuli de tout ordre), incapacité à penser, à lire, à raisonner, à réfléchir, à bouger, à réagir aux stimuli extérieurs, un besoin impérieux d’absence d’agitation autour de soi, de calme, de silence…


J’espère que vous avez apprécié cette petite expérience immersive ? A travers celle-ci, j’ai souhaité mettre en lumière le coût invisible des interactions sociales et leurs conséquences, avant, pendant et après un événement. Il est crucial de comprendre que cela n'est pas une question de volonté ou de désir mais bien de capacités de traitement neurologique différentes. Le phénomène est d’ailleurs largement documenté dans la littérature scientifique. Il serait dommage d’autant investir dans la science pour finalement ne pas tenir compte de ses conclusions...


Il me semble que de comprendre, accepter et respecter cette réalité est la première étape vers une véritable inclusion, où les environnements et les attentes sociales s’adaptent enfin pour ne plus exiger le coût invisible que trop de personnes autistes paient au nom d’une inclusion qui ne leur ressemble pas (puisque pensée sans elles…).


L’autre comme guide : quand la différence devient source de savoir

En solution alternative, je propose que nous inversions la logique des ateliers d'habiletés sociales : au lieu de demander aux autistes de s’adapter aux codes sociaux en vigueur (dans le déni de leur réalité sensorielle, émotionnelle et cognitive…) et si nous imaginons des "ateliers d'habiletés autistiques" à destination des personnes non autistes, pour faire tomber les jugements, les préjugés, les attentes normatives, les réflexes d’exclusion ?

Ces espaces ne seraient alors plus des lieux de correction des différences, mais des lieux d'écoute, d'accueil et de décentrage de soi, pour mieux accueillir l’autre.

Mieux encore : au-delà même de l’autisme, chaque personne en situation de handicap (que que soit le handicap et sa façon d’être au monde) pourrait devenir vectrice d'apprentissage à destination des personnes dans les normes : non pour se faire accepter mais pour partager les codes de son monde à elle et inviter l'autre à daigner s'y déplacer. On y apprendrait à s’adapter les uns aux autres, à écouter les besoins des uns et des autres, sans nier personne. Ces ateliers permettraient alors d'imaginer des solutions communes pour rendre la société réellement accessible et inclusive pour l’ensemble des membres qui la composent ?


Et si on fait ce pas vers l’autre, c’est toute la société qui y gagne.

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